Le soleil sortait à peine de sa léthargie qu’il éblouissait déjà de sa clarté l’étendue océanique. Levé depuis quelques minutes, Ben se redressa non sans mal avant de s’étirer et de faire craquer quelques os. Les douleurs ne le quittaient pas, mais c’était vivable et il en fallait bien plus pour le mettre à terre. Il enfila donc un t-shirt et noua ses vieilles baskets d’infortune. Comme tous les matins, il ne dérogeait pas à son petit footing. Certains se prêtaient également au jeu, sauf aujourd’hui. Des petits groupes s’étaient formés. L’air grave de certains ne trompait personne encore moins Ben que la curiosité poussa à s’approcher pour mieux observer la scène qui prenait vie sous ses yeux.

De toute évidence, il était question d’exploration. Cependant, l’heure matinale troublait l’ancien militaire qui se décida à retourner dans son coin afin de récupérer les cartes qu’il avait commencé à faire en plus de celles des autres. S’il avait participé à une ou deux explorations, il avait aussi œuvré seul de son côté. Il avait bien compris qu’avec le collectif, il serait vite bridé au profit de la sécurité de tous. Il retourna donc sur ses pas et chercha à s’enquérir des nouvelles auprès du premier venu.

« — Pourquoi des groupes sont en train de se former ? Vous allez explorer la zone hostile ? »

Évidemment, Ben s’était exempté des traditionnelles formules de politesse en vigueur, ce qui sembla offusquer son interlocuteur qui lui répondit dans un anglais imprécis qu’il serait un peu plus au courant de la vie du camp, s’il se donnait la peine d’être présent.

« — Va te faire mettre connard ! » murmura l’ancien militaire en regardant le petit toutou s’éloigner pour rejoindre les autres. Ne se faisant pas prier, Ben, muni de son semblant de carte et de son arc, prit la direction de la jungle, seul comme toujours. Après tout, il n’avait besoin de personne pour explorer. Il était loin de se douter que tout le camp était à la recherche d’un adolescent disparu depuis plusieurs heures. Il continua donc à progresser à travers la jungle pour se rapprocher de cette fameuse zone hostile, qui commençait à sérieusement l’obséder depuis la dernière exploration. Et pour cause, ils avaient découvert une multitude d’ossements d’animaux, mais aussi d’origine humaine. Le doute n’était plus permis, ces naufragés-là n’étaient pas les premiers à trouver refuge sur l’île. Et Ben avait bien l’intention de percer le mystère et se fichait bien de prendre des risques. Qu’avait-il à perdre à présent ?

cela faisait environ vingt-quatre heures que Jordan avait disparu, ou du moins qie Louise s'était aperçue de sa disparition. En premier lieu, elle avait demandé à son ami Ethan s'il l'avait vu, persuadée d'avoir une réponse favorable du gamin puisque les deux traînaient régulièrement ensemble. Mais la négative fut employée et le cœur serré, Louise avait demandé de l'aide à Jenna qui avait rapidement organisé les premières recherches. La journée de la veille avait ete entièrement consacrée à chercher l'adolescent, sans succès.
Louise n'avait pas dormi de la nuit, elle avait continué à arpenter la plage, une torche à la main, redoutant le pire. Et si elle tombait sur son cadavre échoué sur la plage, comme c'était arrivé la première semaine apres le crash où certains des corps de l'épave avaient ete rejetés par les vagues sur le rivage ? L'agente de voyage ne pouvait se résoudre à cette éventualité.

Le jour venait de se lever, et les groupes se formaient déjà pour reprendre les recherches. Mais Louise avait décidé de continuer seule de son côté. Si Jenna voyait sa tête de déterrée, eloe lui aurait demandé de rester au campement se reposer. Mais comment le pourrait-elle alors que la personne qui comptait le plus etait portée disparue dans un environnement des plus hostiles ?
Voilà plus de deux que Louise marchait dans la jungle, en mode automatique, ne sentant même pas les branchages muo écorcher les jambes. Sa voix éraillée par l'épuisement et les larmes continuait inlassablement à appeler le prénom de son petit.

- Jordan !... JORDAN !

L'angoisse l'étreint davantage lorsqu'elle tomba sur des ossements. Elle avait entendu parler de cette découverte dans un coin de l'île mais n'avait jamais été aussi loin. Elle, elle s'occupait davantage de l'exploration sous-marine. Le cœur battant la chamade, elle s'écroula en larmes, redoutant le pire pour son fils.

Après un échange rapide et peu instructif avec un odieux connard qui venait de lui faire la leçon, Ben observa le petit groupe s’éloigner. Puis à son tour et parce qu’il n’avait rien de mieux à faire, il entreprit de se rendre dans la jungle qu’il commençait à connaître assez bien pour ne pas craindre de s’y enfoncer. Et puis, si en plus il arrivait à dégoter quelques fruits en guise de collation, il n’aura pas perdu son temps. « Optimisation, il n’y a que ça de vrai ! » Mais ce qui l’intéressait, bien au-delà du fait de se remplir la panse, demeurait dans le fait d’approcher la zone hostile que le collectif s’évertuait à ne pas explorer pour l’instant. Et pour cause, lors de la dernière sortie, bon nombre d’ossements furent découverts, ainsi que les restes de probables habitations qui laissaient à craindre l’existence d’une population autochtone peu encline à sympathiser.

« — Tuer ou être tuer, telle est la question ! » marmonnait-il en continuant à progresser. Et alors qu’il s’apprêtait à dégainer son couteau pour récupérer quelques herbes, il entendit une femme s’époumoner. Elle répétait sans cesse un prénom, qui semblait résonner de part et d’autre de la jungle. Ben comprit pourquoi certains naufragés s’étaient mis à faire des petits groupes avant de s’en aller explorer les environs. Quelqu’un semblait avoir disparu et voilà que plusieurs battues étaient organisées.

Oscillant entre une curiosité et une légère inquiétude, il tenta de chercher la femme à la voix brisée. Il marcha sur quelques mètres en écartant les fougères qui se présentaient sur sa route. La voix éraillée résonna à nouveau et permit à Ben de localiser la position. La malheureuse se trouvait à une dizaine de mètres. « — Hey ! » En s’approchant, il constata qu’elle était à genoux près de quelques ossements. « — Qu’est-ce que vous fichez ici et seule en plus ? » Il s’approcha un peu plus pour enfin être à la hauteur de la jeune femme. « — Vous cherchez qui ? » Il ne se formalisa pas des traits tirés et de la mine dévastée de la femme et cherchait du regard d’autres aventuriers. « — Vous devriez vous relever. »

Louise avait marché avec détermination, pendant des heures malgré son épuisement général, tout droit, sans s’arrêter, criant inlassablement le prénom de son enfant disparu, son coeur manquant un battement au moindre bruit qui aurait pu s’apparenter à la présence de celui qu’elle cherchait… Mais non, Jordan restait introuvable.

Le niveau de désespoir de la mère de famille atteignit son apogée quand elle se retrouva au niveau de la zone hostile, où les ossements animaux et humains se faisaient présents en guise d’ornements pour les arbres et le sol. L’intense fatigue et la peur terrible de ne plus jamais revoir son fils ôtaient toute rationalité à Louise qui s’effondra en sanglots au milieu de quelques os humains.
Après seulement une minute, elle entendit une voix humaine. Elle savait pertinemment qu’il ne s’agissait pas de Jordan, mais elle espérait tellement.

- Jordan ?

En se tournant vers la voix, elle constata la présence d’un homme qu’elle se souvenait avoir soigné dans le radeau. Puis, il s’était isolé quelque peu… Louise était de toute façon loin de ce genre de préoccupations, aussi altruiste fut-elle, seul son fils comptait à présent. Elle remarqua à peine la façon dont il lui parla.

- Mon fils, Jordan, c’est lui que je cherche. Il... il a disparu. Vous ne l’auriez pas vu ?

Elle se leva, titubant un peu.

- Il… il est un peu plus grand que moi, balbutia-t-elle en montant sa main à hauteur de sa tête.

Mais il semblait évident qu’il ne l’avait pas vu, il avait l’air de ne pas savoir de quoi elle parlait. Les bras lui en tombèrent et elle manqua elle aussi de choir.

- Vous ne savez pas où il est non plus… réalisa-t-elle alors. Vous… Vous pouvez m’aider ? S’il vous plaît, aidez-moi.

Il ne pourrait pas dire non, n’est-ce pas ? Tout le monde aidait à chercher Jordan, cet homme, qu’elle-même avait aidé alors qu’il était inconscient sur le radeau...

La jungle était derrière lui depuis quelques mètres, mais l’hostilité demeurait présente ; et pour cause, il venait de rejoindre une zone non cartographiée, du moins pas de façon officielle. À nouveau, il fut confronté aux innombrables ossements qui ornaient les lieux tels des trophées macabres. Par réflexe, il garda son couteau à portée de main, observant les crânes comme s’ils étaient encore capables de représenter une menace. Et voilà que son cœur s’emballait comme à chaque fois qu’il approchait cette zone. L’atmosphère y était lourde et chargée d’une énergie néfaste qui mettait mal à l’aise quiconque s’en approchait.

La voix éraillée appartenait à une femme qui venait de tomber lourdement sur ses genoux. Elle tremblait rongée par les sanglots et semblait incapable de se reprendre tant le désespoir qui la consumait était profond. Ben serra la mâchoire. Il aurait dû faire demi-tour et ne pas se mêler de ça, mais pour une raison étrange, il avança de quelques pas, avant de faire savoir à la pleureuse qu’elle n’était plus seule à présent.

« — Je ne suis pas Jordan ! » lâcha-t-il froidement en essayant de comprendre ce qu’elle faisait ici seule. « — Il n’y a personne avec vous ? » Il chercha du regard un hypothétique binôme, mais rien. Et alors qu’il s’apprêtait à partir, malgré le manque de réponse à ses questions, la femme dont il ignorait tout même le prénom lui parla de son fils, le fameux Jordan, qui avait disparu.

« — C’est donc pour ça qu’ils ont fait plusieurs groupes. » La femme se leva, elle était perdue et titubait tout en essayant de faire une brève description de son fils à Ben. Ce dernier, mâchoire serrée, regrettait déjà de s’être approché. Mais il ne pouvait nier que la douleur de cette femme ne le laissait pas insensible. « — Non, je ne l’ai pas vu. D’ailleurs, j’ignorais que quelqu’un avait disparu. » Elle manqua de choir à nouveau, ce qui obligea l’ancien soldat à s’approcher un peu plus. Une question de réflexe, évidemment.

« — Faites gaffe, il y a des trucs rouillés par ici. Ce n’est pas le moment de choper le tétanos. » Pour la première fois, leurs regards se croisèrent et il put lire dans les yeux de Louise, un désespoir si profond qu’il en était étourdi. Il avait déjà vécu ça, ce sentiment de vide intersidéral, cette impression de ne plus pouvoir respirer, de sentir tout son monde s’écrouler sans être capable de ne rien pouvoir faire.

« — Je viens de vous dire que j’ignorais qu’une personne avait disparu. Je… Je ne suis pas la personne la plus compétente pour ça. Je suis sûr que vous trouverez un bon boyscout pour vous aider à retrouver votre gosse qui s’est surement perdu. La prochaine fois, surveillez-le, ça évitera aux autres de perdre leur temps à chercher. »

Il n'était pas Jordan, en effet... Louise l'avait bien remarqué, inutile de le mentionner à voix haute. Cependant, l'étendue de son désespoir l'empêchait de constater, de prime abord du moins, combien l'individu était désagréable. Aussi, la question sur si quelqu'un était ou non présent avec elle la laissa une ou deux secondes sans voix avant qu'elle ne secoue la tête. Quelle importance ?

Malgré tout, le fait de voir un autre être humain lui redonna un peu de courage et Louise se releva, cependant, la fatigue prononcée de son pauvre corps et le changement abrupt de position lui donnèrent un vertige manquant de la faire tomber. L'homme lui fit la remarque qie des objets rouillés pourraient lui donner le tétanos. Elle le regarda comme s'il venait de Mars. Que pouvait-elle bien avoir à faire de choper le tétanos alors qu'elle venait de lui dire que son fils avait disparu ?

En désespoir de cause, ayant marché bien trop longtemps et s'étant retrouvée loin du campement principal, et sans la moindre trace de Jordan, Louise avait demandé à l'homme de dl'aider. La solidarité était de mise dans ce genre de situation, et tout un chacun depuis le crash venait en aide aux autres, plus ou moins naturellement. Louise l'avait fait, dès les premières minutes, aussitôt son fils dans le radeau, elle avait essayé de sauver des personnes encore bloquées dans la carlingue de l'avion, puis, dans le radeau, alors que certains ramaient, elle avait soigné des blessés comme elle le pouvait. D'ailleurs, cet homme en faisait partie. Elle ne s'en souvenait pas, mais elle avait déchiré un bout de sa robe pour lui faire un bandage au bras, rudement blessé probablement par un objet lui étant tombé dessus.

La réponse de l'inconnu se fit entendre. D' ailleurs, depuis le début de leur échange, si l'on pouvait appeler cela ainsi, c'était la première fois qu'il alignait plus de deux phrases. Et force était de constater que plus les mots s'enchaînaient, moins ils étaient agréables à l'oreille. Déjà, il refusait clairement de lii venir en aide, ce qui paraissait impensable dans une rekle situation, mais en plus, il la réprimandait ? Et finalement, il laissait entendre qie la disparition de son fils était de sa faute parce qu'elle ne l'avait pas surveillé et l'accusait par la même occasion de faire perdre leur temps aux autres ? Bouche bée sur la première phrase, elle avait ensuite froncé les sourcils avant de sentir une colère intense l'envahir, à tel point que, presque dans un état second, elle lui flanqua une gifle dont l'écho résonna dans les bois, faisant s'envoler quelques oiseaux ai passage.

- Vous êtes odieux !

Malgré qu'elle était adepte des sports de combat, Louise n'était pas violente, loin de là, et elle n'avait jamais eu à mettre ej pratique tout ce qu'elle avait appris hors des salels d'entraînement. Néanmoins, elle constata que ce geste lui avait fait du bien.
Malgré tout, elle n'avait pas de temps à perdre avec ce crétin égoïste, elle devait retrouver son fils. Alors, sans chercher à savoir quoi que ce soit de plus, elle reprit la route en direction du chemin inconnu, suivant les angoissants ossements, continuant d'appeler le prénom de l'adolescent.

Plus il l’observait et plus il se demandait si finalement il ne devrait pas faire demi-tour pour vaquer à ses occupations et reprendre sa petite vie de solitaire. Il voyait bien, par ses traits tirés et son hébétement constant, que cette femme n’était pas dans un état normal. Avait-elle pris quelque chose ? Après tout, il était fort probable que quelqu’un ait réussi à produire des champignons, voire pire. Peut-être avait-elle bu. Après tout, il n’est pas si difficile de fabriquer de la gniole. Les hypothèses étaient donc nombreuses et de toutes, le désespoir n’était pas envisagé ; du moins pas avant d’avoir croisé le regard de la malheureuse et pris le temps de le décrypter tout en recevant les quelques informations qu’elle consentait à délivrer non sans mal.

Elle avait donc perdu son fils. Et c’est à ce moment précis que l’ancien militaire s’en voulut de ne pas avoir tourné les talons pour vaquer à d’autres occupations. En comprenant qu’il s’agissait du désespoir et non d’une ivresse quelconque, Ben se sentit légèrement mal à l’aise ; autant que Superman fasse à de la kryptonite. Être confrontée de la sorte au désespoir d’une mère fasse à la disparition de son enfant, le renvoya quelques années en arrière. Il ne connaissait que trop bien ce sentiment et il ne voulait certainement pas y être à nouveau confronté. Alors il opta pour la carte de l’odieux connard qui lui permettrait à coup sûr de garder de la distance.

La femme, elle, ne semblait pas encline à garder ses distances après une telle réplique. Ni une ni deux, elle se rua sur Ben pour lui flanquer une gifle monumentale, qu’il ne chercha même pas à éviter ; peut-être parce qu’il savait qu’il l’avait mérité autant que la douleur qui en résultait. Ben serra la mâchoire et se passa une main sur la zone rougie par la gifle. « — Bien, si vous voulez ! » lâcha-t-il alors que déjà, elle s’éloignait en continuant à hurler désespérément le prénom de son fils.

« — Elle n’avait qu’à faire attention bordel ! » Il secoua la tête, prit une grande inspiration et tâcha de faire le point ou peut-être cherchait-il à faire taire cette odieuse petite voix dans sa tête ; celle qui lui disait de ne pas laisser cette femme désespérée, seule. « — Non, tu vas le regretter. » Il souffla à nouveau avant de trancher quant à la suite des évènements. « — Fais chier, bordel je sens que je vais le regretter. » Il se lança donc à la poursuite de la mère en larmes qui continuait sa progression.

« — Je suis odieux certes, mais vous, vous êtes inconsciente. Il ne faut pas venir seule par ici. Et le désespoir n’est certainement pas une bonne excuse pour ne pas faire preuve de bon sens. » La pique lancée, il se focalisa sur la disparition de son gamin. « — Votre fils, quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ? »

Comment un être humain pouvait-il se comporter de manière aussi odieuse et égoïste ? Louise, qui était tout l'opposé, avait du mal à se figurer une telle situation et était à mille lieues de penser que les gens pouvaient se montrer aussi méchants. Bien sûr, elle n'était pas naïve au point de croire que la vie etait rose, elle était américaine et vivait en Australie depuis dix-huit ans, elle savait que la violence et la méchanceté étaient présentes dans le monde, cependant, avec ce que les survivants vivaient, elle pensait que la solidarité était de mise. Et cela l'était la plupart du temps. Sauf avec ce type.

Après lui avoir flanqué la gifle qu'il méritait, le cœur battant la chamade et les larmes inondant son visage, elle était repartie, continuant son chemin, faisant fi de ses remarques d'odieux personnage. Ses jambes avaient du mal à la porter tant l'épuisement l'assaillait, mais elle tenait par l'énergie du désespoir. Chaque pas pouvait la rapprocher de Jordan, alors elle devait tenir le coup. Visiblement, le salopard était toujours derrière elle, tel un morbac s'accrochant comme l'indésirable qu'il était. Sa réflexion la fit rouler des yeux sans pour autant s'arrêter de marcher.

- Mon fils de dix-sept ans a disparu, vois pensez vraiment que j'en ai quelque chose à faire d'être accompagnée ?

Mais alors qu'elle s'apprêtait à lui balancer, une fois n'est pas coutume, une insulte bien sentie pour se débarrasser de lui, elle l'entendit lui poser ube question concernant Jordan. Finalement, allait-il l'aider ? Louise ne ferait certainement pas l'impasse sur une aide supplémentaire, à bas la fierté dans une telle situation.
Elle réfléchit alors. Elle avait perdu la notion du temps.

- Avant hier. Je suis allée dormir tôt parce que jetais fatiguée après la journée d'exploration sous-marine. D'habitude, il traîne avec son ami Ethan et il vient se coucher tard, mais là, je crois qu'il n'est jamais cebu, quabd je me suis réveillée il netait pas là... Et c'est loin d'être un lève-tôt.

Sa voix tremblait sous le coup de l'émotion.

- Ethan dit que la dernière fois qu'il l'a vu, c'était avant-hier soir avant d'aller dormir. Ça fait donc... Plus de vingt-quatre heures qu'il a disparu.

Ce constat lui glaça le sang.

Oh mon dieu... Et s'il était trop tard...

Son cœur serré fit un bond lorsqu'elle entendit un bruit derrière elle. Lorsqu'elle se retourna, elle constata avec effroi qu'un énorme serpent, probablement un noa constrictor, venait d'attaquer l'inconnu, la mâchoire accrochée à son épaule et le corps enroulé autour de lui, ayant fait tomber l'homme au sol.

- Ne bougez pas, ne vous débattez pas ! lui dit-elle en se précipitant vers lui pour l'aider.

Elle remonta jusqu'à la tête de l'animal.

- C'est un constrictor, plus vous vous débattez et plus il va serrer.

Louise plaça ses mains autour debla base des mâchoires du serpent pour le forcer à ouvrir la gueule et essayer de libérer Ben.

Il continuait à s’en vouloir ; chose qu’il faisait à la perfection. Laisser la demoiselle, visiblement en détresse, aurait été bien plus simple. Et puis des groupes s’étaient formés en amont pour rechercher le fameux Jordan. Elle n’allait donc pas rester éternellement seule. Mais, puisque de toute évidence, rien n’était aussi simple, Ben ne prêta aucune attention à ce que son instinct lui dictait et accepta d’offrir un peu de crédit à sa petite voix, si longtemps ignorée.

Ainsi, il se lança, sans grande conviction, dans les pas de l’inconnue qui semblait reprendre contenance ; ou peut-être était-elle bonne actrice. Toujours est-il qu’elle avançait d’un pas décidé, ce qui obligea Ben à accélérer le mouvement pour ne pas se faire distancer. Une fois à sa hauteur et après avoir lancé une petite pique, il se mit à poser quelques questions pour donner un contexte à la situation.

« — Ca, j’ai compris qu’il avait disparu », commençait-il hostile comme toujours, avant d’intensifier son interrogatoire. On aurait presque pu croire qu’il s’intéressait vraiment à ce qu’elle avait à dire et qu’il se souciait donc de la disparition de l’adolescent. « — Le plus important c’est d’avoir un déroulé précis de la chronologie. » Il demeurait distant dans l’échange, mais posait de vraies questions qui donnaient lieu à un vrai échange. La mère épeurée mobilisa sa mémoire et les quelques souvenirs qu’elle avait en tête.

« — Hum, je vois. Vingt-quatre heures, c’est préoccupant, surtout dans un tel milieu. Je vais être honnête avec vous, si d’ici soixante-douze heures nous n’avons rien, il faudra se préparer au pire. » Sa voix n’avait pas tremblé une seule fois contrairement à celle de Louise, qui tâchait de dompter ses émotions comme elle pouvait. Ben étant ce qu’il est, il ne concevait pas de mentir pour rassurer la mère courage. Elle devait se confronter à la réalité, aussi abrupte soit-elle.

Son pas se fit plus rapide ; peut-être commençait-elle à appréhender les choses. Ben du à nouveau accélérer la cadence pour rester à la hauteur de son interlocutrice. Cependant, il venait de commettre une première erreur, celle de ne pas être concentré sur l’environnement hostile. Sans le voir arriver, il sentit une masse imposante au possible, entraver son corps tout entier, assez pour le déstabiliser et le faire chuter au sol. Il comprit trop tard en décalant la tête qu’il était devenu une proie, celle d’un imposant boa qui venait d’enrouler son corps autant du sien. Louise se retourna aussitôt et se précipita sur le rustre dont le cœur battait la chamade.

« — Je… Je n’avais pas l’intention de… bouger. » Il avala sa salive et commença une série d’exercices méditatifs auxquels d’ordinaire, il ne croyait. Il fallait absolument qu’il reste calme. « — J’ai cru comprendre… au vu de… la force… que c’était tout… sauf une vipère. » Il peinait à s’exprimer autant qu’à respirer, ce qui l’incita à se taire et à se concentrer sur les battements de son cœur, qu’il devait à tout prix ralentir alors que déjà Louise plaçait ses mains autour des mâchoires du reptile ; un geste plutôt courageux qui surprit l’ancien militaire.

Au bout de quelques secondes, voyant que la proie n’émettait aucune résistance, le boa, visiblement laissé, lâcha prise, facilitant l’accès à Louise qui parvint aussitôt à délivrer Ben. « — Putain de merde ! » Il se décala rapidement et prit Louise par le bras pour l’inciter à en faire de même. L’espace d’un instant, il hésita à sortir son couteau pour rendre coup pour coup, mais se ravisa. Louise venait sans conteste de lui sauver la vie et de ce fait, il lui devait des remerciements.

« — J’imagine que je dois vous dire merci. »

Contre toute attente, l'homme ai depart récalcitrant suivait Louise. Il avait peut-être décidé de l'aider, peut-être s'était-il rendu compte de son comportement détestable et inapproprié ? Louise était capable d'accepter les remises en, pour elle et pour les autres, et puis de toute façon, elle avait bien d'autres chats à fouetter. Si ce type avait décidé de lui venir en aide, ce ne serait pas de refus. Plus les gens à la recherche de Jordan seraient nombreux, et plus il y aurait de chances de le retrouver. La mère de famille s'accrochait à cette pensée de toutes ses forces.

Elle répondait donc aux questions que lui posait le rustre. Peut-être avait-il un passif dans les enquêtes ou quelque chose du ? Elle n'avait jamais eu l'occasion de discuter avec lui, aussi toutes les hypothèses étaient envisageables. Elle ne savait rien de lui, pas même son prénom. Mais pour l'heure, ce n'était pas vraiment important. Les paroles qu'il prononça la glaçèrent d'effroi. Elle le savait, elle en avait conscience, elle aussi regardait les info er savait que la police disait souvent qu'au bout de soixante-douze heures, les chances de retrouver une personne disparue en vie étaient minces, mais Louise n'avait pas besoin de l'entendre. Le savoir était déjà suffisant. Elle serra les dents.

- Je sais...

Puis, quelque chose d'inattendu se produisit. Un cri étouffé derriere elle et un bruit sourd de chute au sol obligèrent la brunette à se retourner en vitesse. L'image qui se dessinait devant ses yeux était tout droit sortie d'un film d'horreur. Un immense boa s'attaquait à son équipier du jour. Le cœur battant à tout rompre, Louise ne perdit pas son sang froid et s'empressa de voler au secours du rustre. Vivre en Australie depuis toutes ces années lui avaient appris quelques trucs sur els serpents, et elle avait immédiatement identifié celui-ci comme étant un constrictor, donc sans venin, ce qui était déjà une chance. Par contre , il etait spécialement gros, typique des forêts tropicales.

Du mieux qu'elle pouvait, la belle brune aux traits tirés par l'épuisement enserrait les points de jonction des mâchoires de l'animal pour le forcer à lâcher sa prise. Elle avait tâtonné un peu avant d'y arriver, laissant au constrictor le temps de presser comme un citron celui qui aurait pu finir comme un repas, avalé tout cru. Mais par chance, ou par maîtrise, l'animal rouvrit sa mâchoire, laissant à l'humain le temps de dégager son épaule. Aussitôt, Louise jeta dans la direction opposée le reptile avant qie l'homme ne lui attrape le bras pour l'entraîner avec lui de l'autre côté.

Alors que Louise reprenait son souffle et ses esprits, le type reprit la parole. Le regard de la veuve se posa dans le sien, un pei incrédule.

- On est des survivants d'un crash d'avion, personne ne doit rien à personne, la solidarité esr juste normale. Sans ça, personne ne s'en sortira.

Elle s'approcha finalement de lui pour observer son épaule.

- Est-ce que ça va ? Rassurez-vous, ce type de serpent n'a pas de venin.

Finalement, il prenait sur lui et avançait dans la même direction que cette femme dont il ignorait encore le prénom. Mais était-ce vraiment important ? N’y avait-il pas des priorités autres que celles de s’enquérir d’un prénom et d’ainsi établir un semblant de familiarité ? Son gosse avait disparu depuis plus de quarante-huit heures. Voilà une information prioritaire, qui n’en demeurait pas moins préoccupante à bien des égards. Ben, du fait de l’odieux compte à rebours, ne manqua point d’exposer une à une les gradations. Il était factuel alors qu’en temps normal, il aurait fallu se montrer un peu moins froid et avoir plus de considération pour la personne qu’il accompagnait. En était-il seulement capable ?

« — Mieux vaut être au fait de tout ça », lâcha-t-il ensuite. Il s’était pourtant enquis de la situation, avait posé quelques questions. Preuve en est, qu’il voulait apporter un semblant d’aide, même si de prime abord, il s’y était refusé et pour cause, il était question de la perte d’un enfant. Une douleur qu’il ne connaissait que trop bien, mais qu’il s’efforçait de taire tel un secret enfoui que l’on cherche à oublier à tout prix. Sauf que cela était impossible. Cette douleur faisait partie intégrante de sa vie et c’est bien à cause d’elle qu’il avait cessé d’être un homme aimant pour se vouer à la plus pesante des solitudes.

La situation, bien que tendue, devint subitement périlleuse pour nous deux protagonistes. Ben ne s’était pas rendu compte qu’il y avait au sol, un danger bien plus grand que le désespoir, un boa constrictor. Tout se passa si vite, qu’il en perdit l’équilibre avant de sentir une très grande pression mettre à mal son corps et chacune de ses respirations. Le mode survie était enclenché. Il cessa donc de se débattre, pour mieux se focaliser sur sa respiration et les battements de son cœur. Louise, quant à elle, fit montre d’un courage et d’un sang-froid qui surprit l’ancien militaire. Finalement, ça avait du bon de ne pas être seul. Il ferma les yeux malgré tout et pensa à quelque chose de positif pendant que Louise tentait non sans mal de le délivrer, ce qui arriva quelques secondes plus tard.

Le binôme d’un jour se jeta presque aussitôt dans la direction opposée. Ben prit soin d’attirer la belle brune vers lui, pour lui éviter la même mésaventure. Son cœur reprit une cadence infernale, tandis qu’il tâchait de reprendre son souffle. Il s’en était fallu de peu et des remerciements étaient de rigueur. Mais Ben étant ce qu’il est, il lui était encore difficile de faire montre d’un semblant de politesse.

« — La solidarité ce n’est pas mon truc, mais merci quand même. »

Il tenta non sans mal de s’étirer pour constater l’ampleur des dégâts. La demoiselle, elle, s’approchait sans méfiance et observait avec intention l’épaule de son binôme d’infortune.

« — Pas de venin, mais ces saletés peuvent bloquer notre circulation sanguine. J’ai fait mes devoirs. J’aurais dû faire attention et regarder où je mettais les pieds. Je pense que la douleur finira par passer d’ici demain. » Et alors que son regard croisa celui de la jeune femme, il se souvient de leur première rencontre. « — Vous m’avez soigné non ? C’est quoi votre prénom déjà ? »

Même si le ronchon avait changé d'attitude et semblait désormais enclin à aider Louise au vu du fait qu'il lui collait au train, il n'en demeurait pas moins désagréable dans son discours, rappelant à la mère éplorée que le temps était compté pour son fils, que si Jordan n'était pas retrouvé avant ses soixante-douze heures de disparition, sa vie serait probablement en danger. Comme si elle ne le savait pas... Les mots de cet homme ne faisaient qu'attiser son angoisse, et Louise avait pressé le pas, continuant d'appeler Jordan entre deux réponses aux questions de celui qui la suivait bon gré mal gré.
Puis, tout s'enchaîna rapidement, un énorme serpent constrictor, boa ou python, attaqua le morbac et Louise, suivant son instinct, avait tout tenté pour le libérer de la morsure de l'animal. Avec succès, fort heureusement. À son tour, le malotru lécarta du serpent et ils reprirent leurs esprit. Lui reprenait son souffle après avoir été comprimé par l'étreinte du reptile, et Louise essayait d'analyser son état général tandis que lui la remerciait à sa manière. Louise ne put s'empêcher de rouler des yeux face à sa réponse. Comment pouvait-on être aussi égoïste ? Chaque mot qui sortait de sa bouche était détestable.

- C'est bon à savoir... marmonna-t-elle alors qu'il argumentait que la solidarité n'était pas son truc.

Puis, elle voulut le rassurer à propos du serpent, mais il semblait tout savoir sur tout. Et lorsque leurs regards se croisèrent, il sembla capter quelque chose.

- Vous savez, j'ai soigné beaucoup de personnes depuis qu'on est arrivés... si je puis dire. Je m'appelle Louise, Louise Bennett. Et vous ?

À son tour, elle essaya de faire fonctionner sa mémoire, et effectivement, un flash de leur traversée sur le radeau lui traversa l'esprit. Il était inconscient mais bien vivant. De son côté, Louise était en mode automatique, essayant de garder son sang froid, alors que ses larmes coulaient toutes seules tant elle était boulversée de ce que tout le monde venait de vivre : l'impensable, un crash d'avion, la perte de proches, être témoins de la mort de dozaines d'autres personnes. L'horreur, un cauchemar éveillé. Mais effectivement, ce type inconscient avait une tige en métal fichée dans le bras et était inconscient. Elle se souvenait le lui avoir retiré et avoir bandé son bras avec un morceau de sa jupe qu'elle avait déchirée.

- Sur le radeau, oui, je m'en souviens maintenant, c'était votre bras.

Puis, elle rompit le contact visuel et reprit sa marche.

- Il ne faut pas perdre de temps, d'accord ? Si vous étiez un gamin de dix-sept ans, vous seriez allé où ?

Louise ne savait plus où chercher, ni quoi faire. Plus rien ne tournait rond, sauf peut-être cette impression de tournis qu'elle avait. Elle était plus pâle que jamais.

Il en était encore rendu à regretter d’avoir, pour une fois, écouté la petite voix qui polluait son esprit de temps à autre. Il n’était pas patient et pas enclin à faire la causette, ni même à se montrer bienveillant malgré la situation. Pour lui, c’était une question d’habitude de tenir les autres à distance. Et finalement, il en était arrivé à se complaire dans la solitude ; du moins, il s’en était convaincu. Et voilà que sa route tortueuse croisa presque par hasard, celle de Louise Bennett. Une femme plutôt agréable à regarder, Ben devait bien l’admettre. Mais une femme rongée par le désespoir ; un sentiment bien trop familier pour le rustre qui tâchait de garder une bonne distance. Malheureusement pour lui, après avoir croisé la route d’un constricteur, il dut s’en remettre totalement à son interlocutrice, qui parvint non sans mal, à le défaire de l’étreinte fatale du reptile.

Non, il n’avait pas vu sa vie défiler devant lui. Cependant, durant ce laps de temps où la mort s’était rapprochée de sa personne, Ben avait revu le visage de Sarah tout en l’entendant rire avant que le contact ne soit brutalement rompu. Ben resta interdit l’espace d’une seconde avant d’enfiler à nouveau son masque et de jouer ce rôle d’enfoiré qui lui collait à la peau depuis si longtemps.

« — Ce n’est pas la première fois que je vois un serpent » se sentait-il obligé de préciser après avoir joué à « monsieur, je sais tout. »

En s’étirant, il ressentit une vive douleur, mais tenta de ne rien laisser paraître ; surement par fierté. Cependant, cette nouvelle proximité entre eux incita Benjamin à croiser le regard de Louise pour la première fois depuis leur rencontre. La familiarité était de mise, bien que légèrement floue. Il l’avait déjà croisé et tenta donc une première approche pour voir si son intuition venait à se confirmer. « — Mouais, j’imagine que vous m’avez certainement soigné alors. Moi c’est Ben, Ben Levy. »

Elle commençait à se souvenir, bien que pour lui, tout demeurait flou. Et alors qu’il s’apprêtait à la remercier à nouveau (du moins, faire entendre ce qui ressemblait à des remerciements), la mère se leva bien décidée à reprendre la route. Non sans mal, Ben se redressa et serra la mâchoire pour contenir une douleur qu’il situa au niveau de ses côtes.

« — De toute façon d’ici trois heures, on devra rebrousser chemin pour se rapprocher du campement. Vous n’êtes pas sans savoir que la nuit tombe vite par ici. » Il observa les environs, il n’y avait pas grand-chose par ici. Alors peut-être fallait-il migrer vers un point plus élevé afin d’avoir une vue d’ensemble.

« — Vous vous êtes disputé avec lui ? Les ados sont doués pour disparaître après une dispute. C’est leur façon à eux de nous punir. » Il posa à nouveau son regard sur elle et constata à quel point elle avait pâli en l’espace de quelques secondes. « — Ça va ? » Louise dodelinait de la tête avant de perdre l’équilibre. Faisant fi de sa douleur, Ben se précipita pour la rattraper.

« — Ca fait combien de temps que vous ne vous êtes pas hydraté ? Avec deux de tension, vous ne serez utile à personne et encore moins à votre fils. »

Jamais Louise n'aurait pensé en quittant le campement voilà quelques heures, tomber d'une part sur un survivant aussi caractériel, et d'autre part sur un énorme serpent qui les attaquerait. Enfin, la bête avait attaqué ce Ben Levy, plus particulièrement. Était-ce le karma ? Toujours était-il que l'américaine n'avait pas réfléchi, ne cherchant pas midi à quatorze heures, et s'était précipitée pour venir en aide à ce morbac qui la collait alors qu'il avait semblé dès le départ totalement désintéressé par sa situation désespérée.

À présent qu'ils étaient débarrassés du danger, le serpent ayant été envoyé un peu plus loin et n'ayant pas demandé son reste, Louise avait reporté son attention sur l'état de rustre qui ne cessait de se justifier à propos de ses connaissances en matière de bestiole à écailles. Puis, il avait paru réaliser quelque chose. Puis, à son tour, elle se remémora le tragique jour du crash plusieurs semaines auparavant.

- C'était votre épaule, non ? Il me semble oui... Vous aviez une tige de métal fichée dedans, une de celles qui tiennent les appui-têtes.

Elle hocha la tête lorsqu'il lui dévoilà son nom à son tour. Que faire de plus ? De toute façon elle n'avait pas le temps de se réjouir de rencontrer une nouvelle personne. Seul Jordan comptait. Louise avait repris la route, tant bien que mal, tandis que Ben parlait de rebrousser chemin d'ici deux ou trois heures. Il avait raison, si le jour durait longtemps, quand le soleil se couchait, les ténèbres arrivaient en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Elle soupira.

- Non, aucune dispute, aucun désaccord. Jordan est un... un bon garçon.

La vision de Louise commençait à se brouiller, le son se faisait lointain... et en l'espace de cinq seconde, elle se retrouva à la renverse dans les bras de Ben qui la réprimandait parce qu'elle lui semblait déshydratée.

- Je sais pas... Vous croyez que j'ai le temps d'y réfléchir ?

Elle aurait voulu se relever, se défaire de cette étreinte mais les forces lui manquaient. Il avait cependant raison.

- Dans mon sac... il y a... une bouteille d'eau.

Elle laissa glisser la bretelle du sac à dos pour pouvoir l'en délester de son faible contenu. Elle attrapa la bouteille remplie à moitié et après avoir dévissé le bouchon d'une main tremblante, en but quelques lampée. Louise se sentit rapidement mieux.

- Vous aviez raison. Merci.

La mésaventure reptilienne vite expédiée, il ne fallait pas perdre le Nord, surtout pas pour Louise qui, malgré l’hostilité de Ben, semblait s’inquiéter de sa situation. Lui-même l’avait été, l’espace d’un instant. Après tout, ça n’est pas tous les jours que l’on manque de finir étouffé par un boa. Par chance, il s’en était sorti presque indemne et se sentait donc obligé de faire preuve d’un semblant de politesse à l’égard de son interlocutrice.

Parfois, il suffit d’un regard pour avoir les idées claires ou pour se remémorer un souvenir, aussi trouble soit-il. Du crash, Ben ne conservait que peu d’images, car le « chanceux » avait rapidement sombré dans l’inconscience. Mais le visage de Louise avait de toute évidence, était stocké dans un coin de sa mémoire. Et pour cause, cette dernière l’avait vraisemblablement soigné ; une raison de plus de lui être reconnaissant, et ça Ben ne l’appréciait guère, du moins son orgueil.

« — Ouais, il me semble que c’était l’épaule. Je ne me souviens pas de grand-chose en fait. Juste de la douleur au réveil. Mais il y a pire, je n’étais pas le plus à plaindre. » Et il est vrai que lui avait la chance d’être en vie, sans avoir subi la moindre mutilation contrairement à certains survivants qui errent comme des âmes en peine sur le campement.

Profitant de cette familiarité nouvellement acquise, Ben accepta à son tour de donner son prénom, ce qui rendrait les choses plus simples. Mais alors que la mère courage s’apprêtait à reprendre la route, l’ancien agent du Mossad fut surpris par l’extrême pâleur de Louise avant de se rendre compte à quel point son équilibre était précaire. Ni une ni deux et sans trop réfléchir, l’Américain se précipita sur elle pour la rattraper et ainsi lui éviter une lourde chute. Fidèle à lui-même, il ne put s’empêcher de l’accabler quant au fait qu’elle soit déshydratée ; chose que l’intéressée n’appréciait guère de toute évidence.

« — Réfléchir à s’hydrater ? Vous êtes sérieuse ? Vous voulez que votre gosse vous découvre dans cet état ? » Il émit un léger grognement avant de l’aider à récupérer la bouteille qui se trouvait au fond de son sac. « — Je sais que c’est la merde dans votre tête, mais pensez quand même à ne pas vous laissez emporter. Vous devriez retourner vous reposer. Là, vous n’êtes clairement pas opérationnelle, même si vous êtes parvenu à plus ou moins me sauver le cul avec le serpent. »

Chaque fois qu'un silence s'installait, Louise se retrouvait face à son sentiment de culpabilité. Tout ceci n'était-il pas de sa faute, finalement ? Ce voyage, c'était elle qui l'avait organisé. Et l'avion s'était crashé. Son mari avait disparu, probablement mort, et à présent son fils... Avait-elle failli dans son rôle de mère ? Cet inconnu qui lui avait presque aboyé dessus avait-il eu raison de lui dire qu'elle n'avait qu'à mieux l'avoir surveillé ? Mais surveille-t-on encore des adolescents de dix-sept ans ? Aurait-elle été en droit de lui dire d'aller se coucher en même temps qu'elle alors que, pour une fois, il se faisait un ami sans se bagarrer ? Pour une fois, malgré l'anormalité de la situation, Jordan trouvait un semblant de stabilité dans sa vie et n'essayait pas de se mettre dans des embrouilles ?

Ben avait raison, il n'avait pas été le plus à plaindre. Beaucoup de passagers étaient morts, et parmi les survivants, les blessés graves étaient légions. Louise avait eu à amputer des membres sous la supervision de Raphael. Il avait fallu trouver des antibiotiques pour éviter les infections, et les médicaments faisaient partie des choses que la brunette cherchait en priorité quand elle partait en exploration sous-marine. Mais là, à présent, la seule chose à laquelle aspirait l'ancienne agente de voyage, c'était retrouvé son gamin.

Les remontrances de Ben sonnèrent comme un coup de massue, alors qu'elle se sentait déjà assez mal. Mais après quelques gorgées d'eau, les couleurs revinrent un peu.

- Arrêtez d'être aussi sympa, vous risqueriez de vous faire des amis... marmonna-t-elle, essayant de se défaire de son aide.

Sans grand succès. Elle qui avait l'habitude d'être musclée et sportive, la voilà aussi à plat qu'une roue de vélo ayant roulé sur un clou sur trois kilomètres.

- Que je retourne me reposer ? ricana-t-elle. Ben, écoutez, merci de vous inquiéter, mais je suis une mère dont le fils a disparu... J'ai pas le temps de me reposer, ni l'envie, ni même... la capacité ! Je suis incapable de dormir ou de rester tranquille, mon enfant est en danger, vous comprenez ? Je n'arrive pas à penser à autre chose, il... il faut le retrouver... et...

Elle s'arrêta un instant en le regardant, un sourcil levé.

- Plus ou moins ? Vous êtes gonflé, sans moi vous seriez en train de vous faire digérer tout cru à l'heure qu'il est...

Elle soupira de dépit.

- Bref, c'est pas important... Je...

La tête lui tournait, elle était incapable d'avancer.

- Vous avez raison, je vais m'asseoir cinq minutes.

Louise joignit le geste à la parole et s'appuya sur un rocher pour s'y asseoir.

Avait-il été trop loin en guise d’introduction ? Évidemment et il commençait à s’en vouloir. Mais qu’aurait-il pu faire de plus, lui qui n’est plus coutumier de la socialisation ? Et ne comptez pas sur lui pour reconnaître de vive voix sa maladresse. Il en était conscient, c’était déjà ça de pris. Mais alors que l’échange se développait, le militaire de profession laissa son esprit se mettre en veille, l’espace d’un instant.

Il se surprit à songer à sa propre situation à l’époque où il était encore un père qui brillait par son absence, mais qui essayait tant bien que mal de la rattraper lors de ses permissions. Sarah appréciait ces instants, même si le côté « père poule » l’agaçait parfois. Ben n’était pas du genre sévère, au prétexte de refuser de reproduire le modèle familial dont il était le fruit. Mais peut-être aurait-il dû opter pour cette alternative. Sans doute aurait-il dû être plus sévère et choisir une école allant dans ce sens. Combien de fois n’avait-il pas refait le scénario dans sa tête ? Les écoles privées sont onéreuses, mais la sécurité y est garantie. C’était donc ça la solution ? Opter pour la sévérité et ainsi protéger son enfant des dérives du monde extérieur en le plaçant sous une cloche ?

Il préféra oublier ce court instant de culpabilité et reporta toute son attention sur Louise qui avait pâle figure et un équilibre précaire qui incita Ben à se précipiter sur elle, pour l’empêcher de chuter lourdement contre le sol. Il tâcha par la suite, malgré les remontrances, de se rendre utile en l’aidant à récupérer sa bouteille d’eau pour qu’elle puisse s’hydrater au plus vite.

« — Et sarcastique en plus. Sachez que je ne suis pas sympa… Enfin, ce n’était pas mon but. Vous êtes un élément utile au camp de ce que j’ai pu observer. Alors, autant faire ce qu’il faut pour vous maintenir la tête hors de l’eau. »

Toujours directif, il l’incita à se reposer ; ce qui de toute évidence, n’était pas à l’ordre du jour à en juger par la réaction de l’intéressée qui se mit à ricaner avant de sortir son petit soliloque que l’ami Levy écouta avec grande attention avant de répliquer à son tour.

« — Sauf que si vous continuez sur cette pente, vous ne serez bientôt plus rien. Assurez-vous au moins d’avoir un minimum de force pour tenir. Et oui, je suis gonflé ou peut-être aussi têtu que vous ; le genre qui refuse de reconnaître qu’il a besoin d’aide. » Il voyait bien qu’elle essayait encore de se faire croire qu’elle pouvait gérer, mais personne n’était dupe encore moins Ben qui l’observait avec attention depuis plusieurs minutes.

« – L’histoire du boa est effectivement sans importance, mais pas votre état et oui, j’ai raison, mais cinq minutes ne seront suffire. Je peux vous proposer une alternative. On retourne sur le camp pour vous y reposer. Et demain, aux aurores, j’accepte de vous accompagner pour continuer à chercher Jordan. »

Ce crash avait été une terrible tragédie, déjà pour ceux présents dans l'avion, qui avaient été blessés, ou qui avaient perdu des proches voyageant avec eux, mais sans doute aussi pour ceux qui les attendaient sur le continent. Cela faisait des semaines, plusieurs mois à présent. Dans quel état se trouvaient les familles ? Les pensaient-ils morts ? C'était probable. Les recherches avaient-elles été abandonnées ? Il y avait de fortes chances. Alors, tous les survivants étaient-ils condamnés à passer le reste de leur vie sur cette île dont ils ne savaient pas encore tout ? A moins de se débrouiller par eux-mêmes pour trouver un moyen de rentrer...
De toute façon, pour l'heure, la seule idée qui obsédait Louise était de retrouver son fils. Rien d'autre n'avait d'importance. Quand Ben declara que sa blessure à l'epaule n'était rien et qu'il y avait bien pire, l'américaine ne put qu'acquiescer. Le père de son fils était probablement mort, elle avait perdu cet homme qu'elle avait aimé au point de tout lâcher pour le suivre au bout du monde. Cette pensée lui tira une larme qui roula discrètement sur sa joue pâle.

- Oui vous avez raison, dit-elle dans un murmure.

Puis, ce Ben Levy sorti tout droit d'une école d' antipathie, ne trouva rien de mieux que de la rabrouer parce qu'il la trouvait déshydratée. Ce qui n'était pas faux, mais Louise ne put s'empêcher de se faire la réflexion qu'il y avait des manières plus douces de parler aux gens, surtout quand ils étaient en detresse.

- Ouais je vois ça, marmonna-t-elle quand il répondit qu'il n'était pas sympa de toute façon. Donc cet élan d'altruisme forcé, c'est juste parce que je suis utile ? s'offusqua-t-elle.

Elle le laissa l'aider à récupérer sa bouteille d'eau et regretta déjà de l'en avoir remercié. Néanmoins, boire un peu lui avait fait du bien, il fallait le reconnaître.

- OK donc vous avez besoin d'aide ? demanda-t-elle suite à sa remarque. Écoutez... J'ai pas à vous dire quoi faire, mais pour être honnête, vous comporter comme un sale con arrogant ne va pas vous servir, ni personne d'autre d'ailleurs. Vous ne voulez pas être solidaire ? Pourtant vous restez là à m'aider parce que je suis "utile". Réfléchissez-y.

Puis elle l'écouta. Dans les grandes lignes, ce qu'il disait était plutôt sensé, mais son cœur de mère se refusait à entendre raison.

- Je peux pas... Imaginez que je reparte au camp alors qu'en fait, il était peut-être tout près ? Et s'il lui arrivait quelque chose pendant que moi je suis en train de me reposer ? C'est impensable, je ne me le pardonnerai pas. Je préfère encore rester dormir ici pour continuer à chercher au plus vite. Mais... Rentrez, vous, si vous voulez.

Il poussa un long et interminable soupir qui en disait long sur le tréfonds de ses pensées. Pouvait-on faire pire en guise de « première rencontre ? » Certainement pas et Ben n’était pas là pour se faire apprécier ; du moins, c’est ce dont il cherchait à se convaincre. Mais il fallait bien reconnaître que seul, il n’arriverait à rien sur cette île et que par la force des choses, sa destiné était liée à celles des autres survivants et survivantes en présence, Louise la première. Et voilà qu’à nouveau, la maladresse prenait le pas sur la politesse et toute forme de civisme. Cette femme, malgré la détresse qui s’emparait d’elle, avait un semblant de caractère et rétorqua sans sommation à la grande surprise du militaire.

« — Écoutez… » Il s’arrêta en plein élan et soupira à nouveau. « — La formulation était plus que maladroite j’en conviens. Bien sûr que non, ce n’est pas de l’altruisme forcé. J’ai beau avoir des défauts, je ne suis pas encore rendu à laisser quelqu’un dans la merde, surtout dans un état comme le vôtre. » Il en était presque réduit à s’en vouloir d’avoir été si abrupt. C’est pourquoi il l’aida à récupérer sa bouteille d’eau, afin que l’hydratation ne soit plus une option à partir de maintenant.

Il l’observa un court instant, avant d’en faire de même et de récupérer sa propre bouteille d’infortune pour l’alléger de quelques gorgées. Et à peine eut-il le temps de remettre le bouchon, que déjà Louise rebondissait sur sa précédente réplique, ce qui fit naitre un très léger sourire sur le visage de Ben.

« — Pour l’instant je n’ai besoin d’aucune aide. Merci de vous en soucier. » Mais elle n’en avait pas terminé avec lui et semblait bien décidée à le confronter à ses propres contradictions. « — Et vous croyez que vous laissez entrainer ainsi vers le fond, sera utile à quelqu’un ? Oui, je suis un sale con arrogant, mais ça ne m’empêche pas de me rendre utile à quelques reprises. Pour preuve, je suis là non ? Oui, vous êtes utile, c’est un fait. Et même si je suis un sale con, je n’allais pas vous laisser seule dans un tel état. »

Il était évident qu’elle n’en avait que faire de ses conseils et il ne pouvait que comprendre sa situation, à ceci près que Jordan était peut-être encore en vie, contrairement à Sarah.

« — J’ai l’impression que quoique je dise, ça ne servira à rien, vous n’allez pas m’écouter. Dans ce cas, je vais vous accompagnez et si vraiment vous vous sentez de dormir ici, j’en ferais de même. »

Il y avait quelque chose d'étrange avec Ben. L'homme était désagréable au possible au départ, arrogant, presque insultant et ne faisant preuve d'aucune empathie, le genre de personne que Louise exécrait puisqu'elle était tout l'inverse, mais peu à peu, il semblait changer. Cela faisait environ quinze, peut-être vingt minutes qu'ils se côtoyaient, et à présent, il s'intéressait un minimum à l'horrible problème qu'elle avait, il la suivait pour l'aider à chercher Jordan. Il venait même de la rattraper oros de sa perte d'équilibre et l'aider à récupérer sa bouteille d'eau. Plus étonnant encore, il avait semblé à Louise voir un très léger sourire s'esquisser sur les lèvres du rebelle. Que se passait-il ? Était-ce seulement parce qu'elle était "utile" ? Lui-même avait reconnu avoir été utile au camp. Il n'était peut-être pas si rustre que peut-être était-ce juste un jour "sans", un jour où il s'était levé du mauvais pied et où, en de telles circonstances, la mauvaise foi régnait en maître ? Ou était-ce simplement qu'il avait fait l'ébauche d'un rapide travail de réflexion suite aux remarques d'un Louise certes désemparée, mais qui n'avait malgré tout pas sa langue dans sa poche.

- Je rêve ou... J'ai vu un sourire là ? demanda-t-elle en désignant, de sa main qui tenait le bouchon de la bouteille d'eau, le visage de Ben.

Elle referma sa bouteille et la rangea dans son sac, surprise par sa proposition de l'accompagner et même de rester avec elle si elle décidait de ne pas rentrer au camp. Ce qui était précisément ce qu'elle comptait faire.

- C' est vraiment gentil, Ben, mais ne vous y sentez pas obligé. Si c'est ce que vous voulez, bien sûr votre aide est la bienvenue...

Ferme-la, Louise, deux paires d'eux valent mieux qu'une. .

La belle brune jeta un œil en direction du ciel puis sur sa montre.

- Il faudra qu'on fasse un peu avant la nuit. Mais on a peut-être le temps de gagner la colline avant ?

Ils étaient dans une jungle presque amazonienne, aucun chemin n'était tracé réellement hormis celui de leur passage, et les feuilles et branches ne permettait pas forcément de bien se repérer.

- Qu'est-ce que vous en pensez ?

Oui, il avait merdé à plus d’un titre. Évidemment son comportement résultait de l’envie de garder une bonne distance, mais en de telles circonstances, il était tout bonnement blessant d’agir comme l’odieux connard qu’il s’était convaincu d’être. Louise venait de perdre son fils, la chair de sa chair et plus encore, une part importante de son univers. Ben, malgré sa mauvaise foi, ne pouvait omettre d’avoir un jour, ressenti toute la détresse qui habitait la jeune mère ; certes à un degré différent, mais le désespoir n’en demeurait pas moins là. Alors, peut-être que faire un semblant d’effort ne lui couterait pas grand-chose. D’autre part, il n’attendait rien en retour, sauf de retrouver le gamin saint et sauf.

Oui, l’espace d’un instant, aussi infime que le battement d’aile d’un papillon, Ben avait souri. Lui-même était surpris de s’être laissé aller à ce petit instant de faiblesse. Voilà bien longtemps qu’un sourire sincère n’avait pas pris vie sur son visage durci par les épreuves. D’ailleurs, à quoi bon sourire quand la vie que vous menez n’a plus aucun sens, quand l’espoir a déserté la moindre parcelle de votre existence ? Rien, il ne restait qu’un trou béant impossible à combler. Alors oui, l’espace d’un instant, Ben se surprit lui-même à esquisser un sourire, comme s’il prenait conscience qu’il en était encore capable.

« — Vous avez sûrement halluciné, voilà pourquoi il est important de s’hydrater. » Il n’y avait pas la moindre animosité dans ses paroles, si bien que l’on aurait pu croire qu’il la charriait. Peut-être le faisait-il après tout. Car de toute évidence, l’ours mal léché semblait plus aimable, assez pour se proposer d’accompagner la mère en détresse.

« — Si vraiment je n’avais pas envie de venir, je ne l’aurais pas proposé. Et puis j’ai été un peu… abrupte avec vous. Alors, peut-être que… » Il cherchait ses mots, lui qui n’avait pas l’habitude de présenter des excuses et de reconnaître ses torts. « — Peut-être que je pourrais me rendre utile. » Ouf, il y était arrivé, non sans mal cependant.

« — Je n’ai pas envie de me montrer trop optimiste quant au fait d’arriver jusqu’à la colline avant la nuit. Mais effectivement, on pourra toujours allumer un feu si besoin. Mais avant tout, si nous n’arrivons pas à rejoindre la colline, il faudra trouver un endroit où passer la nuit en toute sécurité. Toujours partante ? »

Il prétendait que non, mais elle l'avait vu, il avait esquissé un sourire. La cause de Ben Levy n'était donc pas perdue. Louise, malgré son trouble, sa peine, sa détresse émotionnelle, avait remarqué cela et se disait que finalement, cet homme n'était pe gros rustre qu'il avait laissé paraître, et qu'elle avait raison de se dire que dans la situation dans laquelle tout le monde s'était retrouvé suite au crash, instinctivement, tout un chacun se montrait altruiste. Ben avait eu beau prétendre le contraire, force était de constater qu'il se proposait désormais d'aider la belle brune qui n'était à présent plus que l'ombre d'elle-même.

- Si vous le dites... commenta-t-elle avec une petite moue.

Puis, les paroles qu'il prononça ressemblaient à s'y méprendre à une façon de s'excuser pour son comportement. Louise ne voulut pas enfoncer le clou. Le morbac se transformait en une gentille coccinelle. Autant l'encourager plutôt que le braquer.

- Merci, j'accepte votre aide avec gratitude, Ben Levy.

Elle lui fit donc part de son plan d'aller jusqu'en haut de la colline pour voir si elle pouvait repérer quelque chose. Il semblait peu optimiste quant à la possibilité de l'atteindre avant la nuit, mais pour Louise, cela valait la peine d'essayer. Elle regarda sa montre.

- D'habitude, la nuit tombe vers 20h30 ou 21h, ça nous laisse encore une ou deux heures, on est capables de le faire. Allez, en route.

Visiblement, ce regain d'espoir en ayant une personne pour l'aider l'avait ragaillardie. Elle rangea sa bouteille à moitié vide dans son sac à dos et reprit la route.

- On peut se faire un abri avec les feuilles de palme, c'est facile. On n'aura pas de problème, et avec un feu, on éloignera les potentiels animaux.

C'est ainsi qu'ils reprirent la route, si l'on puit dire. La marche fut intense avec les végétaux qui obstruaient leur chemin, et la noirceur qui gagnait peu à peu le ciel. Ils arrivèrent finalement à une cascade qui semblait le point de chute parfait.
Louise se pencha pour remplir sa bouteille.

- De l'eau douce, c'est parfait.

Une fois la bouteille remplie, elle la déposa et prit de l'eau dans ses mains pour s'en passer sur le visage.

- On pourrait camper ici. Il y a des branchages par là...

Louise se redressa pour aller en couper quelques uns à l'aide de son couteau afin de constituer une paillasse de fortune. Elle récupéra aussi quelques petites branches sèches et des roches pour préparer le foyer du feu.

Ce petit sourire était-il la prémisse d’un changement à venir ? Non, n’exagérons pas. Cependant, il trahissait le fait que Ben sous ses airs renfrognés, soit capable de faire montre d’une humeur moins massacrante qu’à l’ordinaire. Ajoutons à ça une situation atypique et une rencontre qui l’était tout autant. Car si cela faisait des moins que les naufragés vivaient reclus sur cette île inconnue, jamais Ben et Louise n’avaient eu l’occasion de (croiser le fer) passer du temps ensemble et donc de faire plus ample connaissance ; bien que pour l’heure, ils semblent avoir d’autres priorités. Et puis Ben, bien que désireux de fournir quelques efforts pour rendre l’échange moins hostile, n’était pas encore assez à l’aise pour sociabiliser.

« — Bien ! Ravi de savoir que vous acceptez mon aide dans ce cas et avec gratitude en plus ! » L’hostilité n’était décidément plus au rendez-vous, tellement que le militaire se laissa convaincre, par le fait de parvenir à atteindre leur but, bien que de prime abord, il sembla dubitatif. C’était sans compter sur l’inspirante persévérance de Louise, prête à soulever des montagnes malgré son récent moment de faiblesse dû à un manque flagrant d’hydratation.

« — 20 h 40 pour le coucher du soleil », fit-il entendre pour que la précision ne soit pas éhontément piétinée. « — Ce qui nous laisse effectivement deux heures au moins. » Sur ces mots, il consentit à suivre Louise sans se poser plus de questions.

Les minutes s’écoulèrent dans un silence de mort. Le temps n’étant pas un allié, Ben jugeait inutile de le gaspiller en bavardage. Il se focalisa donc sur la marche ; force est de constater que Louise avait opté un bon rythme et ne se plaignait pas. « Elle est courageuse, je dois bien l’admettre ! » Il délesta à nouveau sa bouteille d’une gorgée avant de reprendre la route. La chaleur était étouffante, ce qui rendait la progression difficile, autant que le fait de se faufiler à travers la végétation. Malgré tout, cet univers lui semblait familier, du fait de ses quelques missions et le renvoyait à une époque où le danger était partout tout comme l’excitation qui en découlait.

Le soleil, bien que sa chaleur demeure intense, perdait peu à peu de sa luminosité, ce qui incitait le binôme à se mouvoir avec plus de précautions avant d’enfin amorcer un arrêt. Face à eux se trouvait une cascade, l’endroit idéal pour se poser, se rafraichir et remplir les bouteilles. Ben prit un instant pour observer les lieux avant de s’approcher à son tour, pour remplir sa bouteille.

« — Là plus d’excuses pour ne pas s’hydrater correctement hein ! »

La température de l’eau était agréable, assez pour joindre les mains et en recueillir une partie pour se rafraichir le visage, la nuque et tout ce qui pouvait être décemment rafraichit. Sans se faire prier, l’ancien agent du Mossad retira son t-shirt qu’il plongea dans l’eau, ses plaques militaires pendaient à son cou. Puis il se redressa et se servit de son vêtement humide comme d’une serviette pour mouiller le haut de son corps avant de renfiler le t-shirt si humide qu’il lui collait à la peau à présent.

« — Avec un feu, comme vous l’avez suggéré, on tiendra à distance les éventuels prédateurs. J’ai cru voir des cocotiers pas loin. Je vais voir si je peux récupérer quelque chose. » Tandis qu’elle semblait décidée à réunir quelques branchages pour réaliser un semblant de paillasse pour la nuit. Ben s’éloigna donc, sans pour autant mettre trop de distance. Le cocotier qu’il croisa sur sa route n’était pas trop haut, une chance pour le militaire qui n’avait que très peu de compétence d’escalade. Prenant grand soin de ne pas se blesser, il grimpa non sans mal avant de donner un coup dans une première noix qui entraina la chute de quelques autres. « — Yes ! » lâcha-t-il échapper tout en redescendant avec précaution pour retrouver Louise, les bras chargés.

« — J’espère que vous aimez les noix de coco. » Il déposa le tout près des paillasses de fortune et de ce qui pourrait aisément constituer le foyer d’un feu. « — Vous savez allumer un feu au moins ? »

Tout avait été dit, rien de plus à ajouter. Louise se mit en route, suivi de celui qui s'était d'abord comporté comme un morbac, et maintenant davantage comme un golden retriever désirant se rendre utile. Louise était largement prête à mettre sa fierté de côté si cela permettait de retrouver son fils. D'ailleurs, en de telles circonstances, était-il encore vraiment question d'une quelconque fierté ? C'était une question de vie ou de mort, littéralement. Elle savait que d'autres groupes cherchaient Jordan et elle leur en était reconnaissante du plus profond de son coeur, mais malgré son épuisement moral et physique, il était hors de question pour elle de rester passive. D'après l'ancienne interne en chirurgie, il s'agissait là d'un simple calcul mathématique : plus de personnes seraient sur le coup et dans des directions géographiques différentes, plus il y avait de chance de retrouver l'adolescent.

Après une longue marche d'environ une heure et demi, le duo avait eu la chance de tomber sur un lieu propice au repos, et ce juste avant la nuit imminente. Une cascade affleurant à la colline. Ils touchaient au but tout en ayant un endroit pratique pour dormir et se restauter. Louise proposa de s'arrêter là, commençant par se rafraîchir le visage et remplir sa gourde et sa bouteille. Son comparse en fit de même avamt de retirer son T-shirt. Elle remarqua du coin de l'oeil les plaquettes militaires qui pendaient à son cou, auparavant dissimulées par son vêtement. Ce métier expliquait sans doute ses incroyables abdominaux qu'elle même, malgré tout le sport qu'elle faisait, ne pouvai se targuer d'avoir.
Puis elle s'affaira à ramasser des feuilles pour les paillasses et des branchages secs pour le feu. Pendant ce temps, Ben se proposa d'aller récupérer de quoi manger.

- Bien, se contenta-t-elle de répondre.

Lorsqu'il revint tel le messie les bras chargés de plusieurs noix de coco, elle avait terminé de préparer leurs lits de fortune et le foyer du feu. Elle s'apprêtait à le faire démarrer lorsqu'il demanda, sur un ton qu'elle trouvait presque condescendant, si elle savait l'allumer. Ce fut à ce moment que la fumée sortit des brindilles après qu'elle ait suffisamment frotté les pierres entre elles.

- C'est plus long qu'avec un briquet ou des allumettes, mais si les Homo erectus ont pu le faire il y a plus de quatre-cent mille ans, pourquoi pas nous ?

La première flamme embrassa le petit bois, avant que finalement après quelques minutes, un petit feu ne se forme.
Louise se leva et s'approcha de l'eau. Dissimulée derrière un arbre, elle retira sa robe, qu'elle avait bien fait de choisir ample pour le voyage, le surplus de tissu lui avait permis de faire plusieurs bandages de fortune dont celui de Ben au sortir de l'avion. Puis ses sous-vêtements, et elle déposa le tout sur une pierre, longuement chauffée par le soleil durant la journée, puis elle entra dans l'eau. Celle-ci était fraîche, mais ce contact lui fit du bien. Après deux ou trois minutes, son corps s'était habitué à la température et cela lui fit un bien fou. Elle nagea jusqu'à la cascade, laissant l'eau lui couler sur le visage. C'était vivifiant. Puis, elle remarqua qu'en un point, l'eau était plus chaude.

- Ben ? appela-t-elle. Il y a un point d'eau chaude ici, si ça vous intéresse...

Après une journée aussi intense, c'était un vrai bonheur.

Si de prime abord, Ben avait montré le plus rustre des visages, à présent il tâchait de se montrer un peu plus agréable. Cette femme était du genre à ne pas se ménager sur le camp ; une utilité qui fut l’excuse parfaite pour justifier le fait que le rebelle veuille l’aider. Mais il avait conscience que c’est bel et bien le désespoir de la jeune mère qui l’avait attiré inconsciemment, faisant voler la barrière qu’il avait érigée. Est-ce qu’il s’en voulait ? Pas sur l’instant. Et puis jouer les odieux connards h-24 est épuisant. Alors, pourquoi ne pas lâcher un peu de lestes de temps à autre ?

Les voilà donc repartis, prêts à se livrer sans la moindre hésitation à la plus périlleuse des randonnées. Il est vrai que les conditions météo n’étaient pas optimales pour ce genre d’effort intense ; autant que le désert et le sable chaud qui vous brûle les pieds. Un souvenir que le militaire préférait oublier. C’était il y a longtemps, assez pour considérer cela comme une ancienne vie. Et puis ici, il y avait quelques zones d’ombres grâce à la végétation, ce qui n’était pas du luxe après avoir marché durant de longues minutes.

Et voilà qu’enfin, tel un mirage en enfer, la température se fit moins étouffante tandis qu’au loin, le claquement de l’eau contre la pierre se faisait entendre. Après plus d’une heure de marche, le binôme découvrit une cascade ; un lieu qui n’avait pas encore été découvert et qui ne figurait pas sur les cartes que l’américain avait aidé à tenir lors des explorations plus officielles.

« Une parenthèse enchantée » s’autorisa à penser Ben avant de se rafraichir le visage et le haut du corps. Ça n’aurait pas pu mieux tomber puisqu’à présent le soleil défaillait dans le lointain horizon. Heureusement que le rebelle avait repéré des cocotiers non loin de là. Il laissa donc à Louise le soin de s’occuper des paillasses et s’éloigna pour récupérer quelques noix de coco. Il tâcha d’être prudent pour s’éviter une blessure inutile. Par chance, la tâche ne fut pas ardue et en moins de temps qu’il faut pour le dire, le rustre retrouva le campement d’infortune, les bras chargés de noix de coco. Louise n’avait pas chômé. En plus des paillasses, la jeune femme s’était hâtée à la préparation du feu qu’elle venait d’allumer suite à la remarque un tantinet condescendante de son camarade d’infortune, qui se sentit légèrement con après ça.

« — Si l’on doit reproduire tout ce que les hommes préhistoriques ont dû faire pour survivre, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Perso, je me vois mal me vêtir avec des peaux d’animaux, pas vous ? » Il déposa les noix de coco, pas très loin. Au vu de leur poids, elles étaient pleines, ce qui leur assurait le minimum pour se nourrir correctement. Et alors qu’il cherchait du regard d’autres aliments susceptibles d’agrémenter leur semblant de repas, Ben vit Louise s’éloigner pour ensuite venir se cacher derrière un arbre. Il ne comprit pas tout de suite ce qu’elle avait en tête, jusqu’à la voir entrer dans l’eau, nue évidemment. L’homme détourna le regard et serra la mâchoire. Ses joues se mirent à rougir assez pour trahir sa gêne. Ainsi, il se chercha un semblant d’activité pour ne rien laisser paraître, mais la voix de Louise le sortit de sa torpeur.

« — Qu’est-ce qu’il y a ? » lança-t-il en relevant la tête l’air de rien. De toute évidence, la jeune femme venait de trouver un point d’eau chaude et semblait encline à partager sa trouvaille.

« Non Ben pas besoin ! »

Mais il avait envie de se dévêtir et de plonger sans réfléchir dans l’eau. Son corps lui-même l’exultait à le faire pour se prémunir de trop grandes tensions susceptibles de mettre à mal leur progression future. « — Eh puis merde ! » La résistance fut donc de courte durée avant que le rebelle ne s’approche de la cascade. N’étant pas très pudique, il se déshabilla à la vue de Louise avant de se laisser immerger totalement. C’était si bon, malgré la fraicheur, qu’il en eut des frissons. L’espace d’un instant, il ferma les yeux afin de savourer comme il se doit ce contact vivifiant sur sa peau avant de revenir à lui et de nager un peu pour se rapprocher du point chaud et de Louise par extension.

« — J’avoue que ce n’est pas désagréable finalement. Ça va vous ? »